Plusieurs entreprises européennes ont été poursuivies ces dernières années aux États-Unis pour violation de règles relatives à la lutte contre la corruption transnationale ou des régimes de sanctions économiques. Ces procédures ont fait l’objet de virulentes critiques en France et en Europe pour leur dimension extraterritoriale et en raison du fait que l’usage du dollar américain aurait suffit à assoir la compétence pénale américaine. Or cette dernière idée mérite d’être fortement nuancée.

L’internationalisation des échanges, couplée à la dématérialisation des technologies et des flux financiers, ont drastiquement accentué la dilution de la territorialité du droit et favorisé l’avènement de normes dotées d’une large portée extraterritoriale1. Extraterritorialité parfois heureuse, lorsqu’un État « champion du droit » obtient en matière de répression des résultats, là où d’autres échouent par manque de moyens ou de volonté. Extraterritorialité souvent fâcheuse, lorsque la répression extraterritoriale semble n’être que l’instrument d’une volonté de puissance économique ou de dévoiements politiques.

En confrontation avec la souveraineté des États, les lois et poursuites extraterritoriales sont souvent américaines, bien que les États-Unis n’en aient pas l’exclusivité. Elles alimentent depuis nombreuses années les débats, notamment à propos des affaires dans lesquelles on peine à apercevoir le lien avec le territoire ou la nationalité de l’État régulateur permettant l’exercice légitime de sa compétence. En effet, plus ces liens sont ténus, plus l’application de ces normes semble excessive et contestable en droit comme en opportunité. Encore très récemment, dans les transactions à 3,6 milliards d’euros conclues simultanément par Airbus et les autorités de trois pays (Royaume-Uni, États-Unis et France), l’observateur extérieur ne parvient pas à identifier, sur le volet de la corruption, quel est le titre de compétence des États-Unis. 

Cette incertitude semble d’ailleurs parfaitement assumée par les autorités américaines : « La société [Airbus], est-il écrit dans les premiers paragraphes de la transaction, n’est ni un émetteur américain ni une entité américaine et la compétence territoriale [américaine] relative à la conduite corruptive est limitée »2.

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